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CHRONIQUES

Il n’en est nullement de même pour Baudelaire :

Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs
Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère

Cette « liaison » entre Sodome et Gomorrhe que dans les dernières parties de mon ouvrage (et non dans la première Sodome qui vient de paraître) j’ai confiée à une brute, Charles Morel (ce sont du reste les brutes à qui ce rôle est d’habitude réparti), il semble que Baudelaire s’y soit de lui-même « affecté » d’une façon toute privilégiée. Ce rôle, combien il eût été intéressant de savoir pourquoi Baudelaire l’avait choisi, comment il l’avait rempli. Ce qui est compréhensible chez Charles Morel reste profondément mystérieux chez l’auteur des Fleurs du Mal.

Après ces grands poètes (je n’ai pas eu le temps de parler du rôle des cités antiques dans Baudelaire et de la couleur écarlate qu’elles mettent çà et là dans son œuvre) on ne peut plus, avant le Parnasse et le Symbolisme, desquels nous ne parlerons pas aujourd’hui, citer de véritables génies. Musset est malgré tout un poète de second ordre et ses admirateurs le sentent si bien qu’ils laissent toujours reposer pendant quelques années une partie de son œuvre, quitte à y revenir quand ils sont fatigués de cultiver l’autre. Lassés par le côté déclamatoire des Nuits qui sont pourtant ce vers quoi il a tendu, ils font alterner avec elle de petits poèmes