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CHRONIQUES

livres de Flaubert, ni même le style de Flaubert. Pour des raisons qui seraient trop longues à développer ici, je crois que la métaphore seule peut donner une sorte d’éternité au style, et il n’y a peut-être pas dans tout Flaubert une seule belle métaphore. Bien plus, ses images sont généralement si faibles qu’elles ne s’élèvent guère au-dessus de celles que pourraient trouver ses personnages les plus insignifiants. Sans doute quand, dans une pièce sublime, Mme Arnoux et Frédéric échangent des phrases telles que : « Quelquefois vos paroles me reviennent comme un écho lointain, comme le son d’une cloche apporté par le vent. — J’avais toujours au fond de moi-même la musique de votre voix et la splendeur de vos yeux », sans doute c’est un peu trop bien pour une conversation entre Frédéric et Mme Arnoux. Mais, Flaubert, si au lieu de ses personnages c’était lui qui avait parlé, n’aurait pas trouvé beaucoup mieux. Pour exprimer d’une façon qu’il croit évidemment ravissante, dans la plus parfaite de ses œuvres, le silence qui régnait dans le château de Julien, il dit que « l’on entendait le frôlement d’une écharpe ou l’écho d’un soupir ». Et à la fin, quand celui qui porte saint Julien devient le Christ, cette minute ineffable est décrite à peu près ainsi : « Ses yeux prirent une clarté d’étoiles, ses cheveux s’allongèrent comme les rais du soleil, le souffle de ses narines avait la douceur des roses, etc. » Il n’y a là-dedans rien de mauvais, aucune chose disparate, choquante ou ridicule comme dans une description de Balzac ou de Renan ; seulement il semble que même sans le secours de Flaubert, un

    philosophes me reprochent d’employer dans le sens courant le mot intelligence, etc.