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CHRONIQUES

centimètres, dans un godet de porcelaine de Hizen. Mais l’imagination qui les contemple en même temps que les yeux, les voit, dans le monde des proportions, ce qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire des arbres immenses. Et leur ombre grande comme la main donne à l’étroit carré de terre, de natte, ou de cailloux où elle promène lentement, les jours de soleil, ses songes plus que centenaires, l’étendue et la majesté d’une vaste campagne ou de la rive de quelque grand fleuve.

J’aurais voulu d’un tel livre (un livre unique à qui on pourra trouver dans le passé des égaux, mais pas un semblable) essayer de dégager d’abord l’essence et l’esprit. Il faut finir et je n’ai pas commencé d’en parcourir avec vous les beautés. J’aurais pourtant aimé m’attarder à celles de pure technique aussi bien qu’aux autres, vous signaler au passage, par exemple, de charmants noms français, revivant et vibrant dans la belle lumière où le poète les expose, à la place d’honneur du vers, à la rime, à la rime qui les fait chanter, accompagnés par la musique assortie de la rime voisine :

La douceur d’un beau soir qui descend sur Beauvais.

Je me penche à votre fenêtre
Le soir descend sur Chambéry ;

tant de notations d’une justesse délicieuse :

Dans nos taillis serrés où la pie en sifflant
Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc.