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NOTES ET SOUVENIRS

Tout regard en arrière vers le vulgaire, que ce soit pour le flatter par une expression facile, que ce soit pour le déconcerter par une expression obscure, ont fait à jamais manquer le but à l’archer divin. Son œuvre gardera impitoyablement la trace de son désir de plaire ou de déplaire à la foule, désirs également médiocres, qui raviront, hélas, des lecteurs de second ordre…

Qu’il me soit permis de dire encore du symbolisme, dont en somme il s’agit surtout ici, qu’en prétendant négliger les « accidents de temps et d’espace » pour ne nous montrer que des vérités éternelles, il méconnaît une autre loi de la vie qui est de réaliser l’universel ou éternel, mais seulement dans des individus. Dans les œuvres comme dans la vie, les hommes pour plus généreux qu’ils soient, doivent être fortement individuels. (Cf. La Guerre et la Paix, Le Moulin sur la Floss) et on peut dire d’eux, comme de chacun de nous, que c’est quand ils sont le plus eux-mêmes qu’ils réalisent le plus largement l’âme universelle.

Les œuvres purement symboliques risquent donc de manquer de vie et par là de profondeur. Si, de plus, au lieu de toucher l’esprit, leurs « princesses » et leurs « chevaliers » proposent un sens imprécis et difficile à sa perspicacité, les poèmes, qui devraient être de vivants symboles, ne sont plus que de froides allégories.

Que les poètes s’inspirent plus de la nature, où, si le fond de tout est un et obscur, la forme de tout est individuelle et claire. Avec le secret de la vie, elle leur apprendra le dédain de l’obscurité. Est-ce que la nature nous cache le soleil, ou les milliers d’étoiles qui brillent sans voiles, éclatantes et indéchiffrables