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CHRONIQUES

éclatante, y font circuler des parfums inconnus. Il n’est pour nous de rayons, ni de parfums, délicieux, que ceux que notre mémoire a autrefois enregistrés ; ils savent nous faire entendre la légère instrumentation que leur avait ajoutée notre façon de sentir d’alors, façon de sentir qui nous semble plus originale, maintenant que les modifications souvent indiscernables mais incessantes de notre pensée et de nos nerfs nous a conduits si loin d’elle. Il n’y a qu’eux, — et non pas des bêtes de rayons et de parfums nouveaux qui ne savent encore rien de la vie, — qui puissent nous rapporter un peu de l’air d’autrefois que nous ne respirons plus, qui puissent nous donner l’impression des seuls vrais paradis, les paradis perdus ! Et c’est peut-être à cause de la petite « Scène d’enfant » que je viens de rappeler, que j’ai trouvé tout à l’heure aux rayons qui s’étaient posés sur le balcon, et dans lesquels elle avait transfusé son âme, quelque chose de fantasque, de mélancolique et de caressant, comme à une phrase de Schumann.

Marcel Proust.
Le Figaro, juin 1912.