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PAYSAGES ET RÉFLEXIONS

désespérais, quand, décochée d’entre le Guignol et les chevaux de bois, l’apparition tardive mais bienheureuse du plumet violet de son institutrice venait me frapper comme une balle en plein cœur. Nous jouions. Nous ne nous interrompions que pour aller chez la marchande, où mon amie achetait un sucre d’orge et des fruits. Comme elle aimait l’histoire naturelle, elle choisissait de préférence ceux qui avaient un ver. Je regardais avec admiration, lumineuses et captives, dans une sébille isolée, les billes d’agathe qui me semblaient précieuses parce qu’elles étaient souriantes et blondes comme des jeunes filles et parce qu’elles coûtaient cinquante centimes pièce.

L’institutrice de mon amie portait un caoutchouc. Hélas ! mes parents me refusèrent, malgré mes supplications, à en donner un à la mienne, non plus qu’un plumet violet. Malheureusement cette institutrice craignait fort l’humidité, — pour elle. Quand le temps, même au mois de janvier, était au beau fixe, je savais que je verrais mon amie ; et si, le matin, en entrant dire bonjour à ma mère, j’avais appris, en voyant une colonne de poussière se tenir debout toute seule au-dessus du piano, et en entendant un orgue de barbarie jouer sous la fenêtre : « En Revenant de la Revue », que l’hiver recevait jusqu’au soir la visite inopinée et radieuse d’une journée de printemps ; si, tout le long de la rue, je voyais les balcons descellés par le soleil, flotter devant les maisons comme des nuages d’or, j’étais heureux ! Mais, d’autres jours, le temps était incertain, mes parents avaient dit qu’il pouvait encore se lever, qu’il suffirait pour cela d’un rayon de soleil, mais qu’il était plus probable qu’il pleuvrait. Et, s’il pleuvait, à quoi bon aller aux