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31 janvier 1903. — (Équateur.) Dans la région, les lianes à caoutchouc sont dévastées : il y a dix ans qu’on exploite le pays selon la méthode, générale dans toutes les colonies, de production rapide — et de destruction certaine. — J’ai vu le même fait en Indo-Chine et autour de Konakry.

12 mars 1903. — (Loméla.) Les forêts environnantes sont absolument saccagées. Le mode de dévastation en grand règne toujours et pour l’accomplir, on a décimé les populations. Les grands villages jadis habités par cinq ou six cents êtres ne comptent plus maintenant que vingt à trente têtes. La vérité commence à m’apparaitre ; certaines confidences, certains souvenirs évoqués par les anciens dans la conversation, me reviennent en mémoire, et s’identifient avec les preuves que je trouve sur le terrain. En réalité, le saccage des forêts n’a été ralenti que par la raréfaction de la main-d’œuvre. J’ai entendu dire par des Congolais que chaque tonne de caoutchouc représentait la mort de cent nègres ; en tenant le chiffre pour exagéré, il n’en est pas moins vrai que, pour la récolte de ce produit, celle de l’ivoire, du copal, des vivres et l’imposition des corvées, trois ou quatre millions d’êtres humains ont été sacrifiés depuis vingt ans. Il serait intéressant de connaître, comme contre-preuve, quel nombre de caisses de cartouches sont passées par la douane de Matadi, pour « payer les nègres » selon l’expression de ceux du haut fleuve.