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elles aidaient à la palper ! Comme on conçoit la pensée se faisant justicière, et le pouce, et l’ongle s’associant à cette pensée, pour enfoncer l’aiguille au bon endroit dans le corps en effigie ou lui dépioter le crâne, pour manipuler à coups de représailles et sous l’empreinte de la rage cette cire emblématique !

C’est ainsi que Sabine pétrissait d’avance, nerveusement, de ses doigts minces, cette argile de vengeance que nous avons tous pétrie à nos heures. Il y avait même des instants où elle s’en trouvait secouée dans son sommeil, où ce qu’elle méditait était si fort qu’elle en restait comme étranglée. Un jour elle prit une de ses poupées et la mit dans la posture où elle rêvait de tenir plus tard la mieux convoitée de ses victimes : elle lui arracha les cheveux et lui planta une épingle dans la nuque ; peu à peu elle en vint à incarner quelqu’un dans cette poupée mutilée, et elle croyait sentir son cœur, à elle, se vider lentement, goutte à goutte, de plaisir.

Renée, qui l’avait eue pendant les vacances, respira en elle cette poussière végétale d’idées aux formes lancinantes, dont la sève extraordinaire rongeait l’orifice de la coupe bizarre où elles croissaient. Renée recula, elle que rien n’ébranlait, en voyant ces idées empreindre jusqu’aux gestes et tourmenter l’enveloppe féminine de la petite fille. Il se manifesta dans l’enfant ce phénomène physiologique où l’on voit certaines lignes du masque humain s’allonger ou s’incliner, affluer vers l’oreille,