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l’auteur révélait certainement un disciple du Titien. Il s’agissait d’une jeune fille conduite à un vieux sénateur par une marchande juive. Ce tableau, imité du maître, en gardait la chaude splendeur. L’entremetteuse, au teint orangé, poussait l’enfant, que l’artiste avait peinte dans une pâte rayonnante et laiteuse, entre les bras du vieillard à barbe de bouc, qui tendait les mains pour la saisir avidement. Le cou de la jeune femme participait, comme dessin, des lignes indécises de la fille qui grandit. Le rejet hardi de la gorge agitée, sur laquelle s’arrêtait le vol lubrique des yeux de l’homme qui venait d’acheter cette nuit de plaisir ; la fumée rousse de cette chevelure d’une créature de dix-huit ans se perdant vers le fond ; enfin ce corps où, dans les régions molles du ventre, le peintre s’était assimilé le dessin du maître ; le cynisme de la mérétrice, en un mot l’ensemble, dans lequel l’idée unique détaillait la pudeur vendue, ne se dévoilait que par morceaux après une analyse minutieuse. Et ce qui vous arrêtait, entre les rares parties non encore dévorées sous les ombres dont la toile s’embuait chaque jour, c’était la physionomie insolente de la procureuse qui paraissait là toute seule, comme une tête sans corps, qui vivait quand même dans la persistance de son astuce, et qui vous accrochait, vous prenait de force à l’angle aigu de son ricanement.

En face de cette composition du xvie siècle, une réduction de la Diane de Poitiers, de Jean Cousin,