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sabine

Il y eut un moment de stupeur.

— Dieu de Dieu, continuait Raimbaut, voilà le valet de cœur que je ne peux pas contraindre à reparaître dans mon jeu ; je lui montre pourtant un visage souriant ; le drôle s’obstine à se fourrer je ne sais où.

Sabine reprit d’un ton moins tranchant :

— Si vous nous ôtez nos chances de périls, et si, en entrant chaque soir dans nos lits, nous avons le privilège, grâce au divorce, de reconquérir à l’heure précise notre libre arbitre, vous nous amoindrissez, messieurs, en croyant nous préserver de la surprise des sens ; et, partant, vous ôtez à nos liaisons illicites, à nos affreuses amours — comme vous les appelez — le délire, l’entraînement que les conditions du mariage actuel leur conservent quand même. Du moment où rien d’irréfléchi, où aucun emportement ne nous est suggéré par l’obstacle, la passion perd de son vol, puisqu’elle cesse d’être maîtrisée, l’existence ses secousses, le ciel son orage, l’esprit ses tourments, le cœur son exaltation… Non, non… quoi que vous puissiez inventer et exprimer, quel est celui d’entre vous qui ne préfère, aux douceurs béates de l’alcôve, la crise d’une heure qui nous jette tout effarouchées en vos bras ? et que nous direz-vous quand vous n’aurez pas nos larmes à tarir, nos craintes à apaiser, votre tendresse, votre tendresse immense, à substituer à la place de l’honneur, de la foi conjugale que nous trahissons pour vous dans une seule minute d’irréflexion bienheureuse ?