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Mlle Léa dont il se trouvait alors l’amant en titre. Elle se souvenait de la terreur éprouvée par lui lorsque l’actrice, émue de sa situation affreuse, chassait ignominieusement l’homme qui l’entretenait, donnait asile à l’orpheline et réparait dans un élan de vraie bonté l’attentat dont Frissonnette gardait une vision si précise. Elle voyait Mlle Léa devenant sa protectrice, la sortant de sa misère, et forçant l’auteur de ce rapt infâme à lui verser une somme d’argent dont elle consacrait entièrement le total à l’élever. Aucun des détails ne lui échappait, mais un surtout demeurait atrocement persistant : c’était le jour où, découvrant dans les yeux de Mlle Léa une lueur de convoitise pour les beaux cheveux coupés à sa mère morte, Frissonnette, ne possédant que ce seul gage de reconnaissance à offrir, les tendait à sa maîtresse avec une rage impossible à étouffer. Non, elle n’écartait point ce souvenir : de Léa, donnant les cheveux à travailler, les faisant tourner en boucles adorables, et les adaptant à sa coiffure de chaque soir, coiffure destinée à capter les sens et à lui assurer le paiement de ses nuits. Maintenant qu’elle était partie, la jeune fille se réveillait en proie à une amertume intolérable ; elle s’avouait n’éprouver pour sa bienfaitrice qu’une reconnaissance mélangée d’envie. Léa croyait avoir largement agi pour elle, sans doute ; elle ne se doutait pas qu’en la voyant sortir, la tête ornée de la dépouille maternelle, l’orpheline subissait un martyre périodique. Non, ce ne pouvait