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qu’un misérable Dieu qui n’a jamais payé qu’en ingratitude les fanatiques qui l’ont servi à deux genoux. Vous lui apportez le sang, la lutte, la paralysie de vos doigts et de votre cerveau ; vous lui prodiguez vos plus ardentes caresses ; vous lui offrez en holocaustes les larmes de dépit de vos femmes délaissées pour lui, et les sourires de vos petits enfants ; vous lui répétez tout bas : — je ne suis qu’à toi, je ne veux être qu’à toi, je n’embrasserai que ton culte, je ne défendrai que ta cause. — Et, en échange, il vous rend l’outrage ! Il fait de vous la proie des gueux du prétoire, il vous retire l’honneur, la seule chose dont on ne puisse rigoureusement se passer pour vivre ! Ah ! oui, maudit soit-il !… Oseras-tu prétendre que le sourire d’une madone du Sanzio dépasse, en suavité, en ivresse, le sourire de la fille à laquelle on jette une poignée d’or ?…

Elle se tordit les mains, et ses frêles muscles craquaient.

— Ah ! Sabine, balbutia le peintre presque défaillant, faut-il qu’une semblable malédiction jaillisse de ta bouche ?… Oublies-tu, pauvre égarée, que mon pinceau t’a donné jusqu’à ce jour…

— Que m’a-t-il donc donné ? interrompit-elle en le repoussant, et suffoquée d’une rage croissante ; que m’a-t-il donc donné ce pinceau que j’exècre ! quelles pointes atroces d’ardentes convoitises n’a-t-il pas enfoncées en moi, depuis que j’existe ! C’est votre pinceau menteur, qui m’a aidée à croire aux choses dont il parlait : à l’amour, à la gloire, à l’idéal,