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timent gracieux et terrible, qui tôt ou tard, m’a-t-on assuré, accomplit son évolution dans une existence, et qu’on appelle l’amour ?

L’amour ? Mon tuteur me l’a montré dans l’antiquité comme le grand tourmenteur des êtres, mettant le feu au cerveau d’une femme, aux murailles d’une ville ; les prêtres, eux, me l’ont dépeint comme un remords quand il ne s’adressait pas à Dieu ; et j’ai entendu les médecins le diagnostiquer comme une névrose ; toi seule, Renée, tu ne m’as jamais dit ce que c’était que l’amour, et pourtant tu le sais ; ne le nie pas — j’en suis sûre.

Écoute, ceci est pour toi, pour toi seule, et je te le demande tout bas : dis-moi si, quand on aime, le flanc bat plus fort, si la lèvre est plus rouge, si le regard a plus de feu, et si l’oreille est plus fine. Dis-moi si, comme pour cette sorcière aux yeux de fée dont on me racontait l’histoire dans mon enfance, et qui était censée nous toucher quand nous jouions, on devine soudain qu’il est là, parce qu’on se sent regardée en dormant… ou appelée sans voir personne. Est-ce lui qui fait sourire, comme certaines femmes dont j’ai vu briller le regard, et que j’ai seules connues souriant de cette façon-là ? Ou plutôt l’amour n’est-il pas l’absolu dans la vie, et qui ne le connaît pas connaît-il quelque chose ? J’ai entendu parler d’abandons mortels, de passions empoisonnées ; il me semble, à moi, que l’amour ne tue que ceux qui sont prédestinés à l’être ; qu’en penses-tu ? — Ma chère, quand j’étais… jeune, je songeais : — L’a-