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et du rouge. M. Jojo, finement rasé, cosmétiqué, essayait une casquette neuve. Il arborait une chemise de zéphir rayée de mauve ; sa main toujours soignée, s’ornait d’une chevalière volumineuse au plat de laquelle s’entrelaçaient de riches initiales.

— T’es prêt ? demanda Mémaine, on s’en va…

— Ben oui, mon petit, j’ t’attends…

Ils sortirent, les rues étaient vivantes, gaies, dominicales. Des ménagères se hâtaient, portant des filets bourrés de provisions. Des cyclistes, des pêcheurs à la ligne émigraient vers les banlieues. Des gamins endimanchés jouaient, galopaient, bataillaient avec une juvénile et tapageuse alacrité. Les bistros faisaient des affaires. Non loin de la porte de Bagnolet, à la terrasse d’un café-bar, Charlot et sa poule étaient attablés. M. Jojo et Mémaine les rejoignirent, s’assirent avec eux. Charlot faisait volontiers le type chic ; il présenta sa femme avec cérémonie. C’était une petite doreuse du faubourg Saint-Antoine, une brunette de vingt ans, assez jolie, avec qui il était collé depuis peu. On but à la durée et à la prospérité du jeune ménage une tournée, puis une autre. Les hommes se mirent à causer sport et politique, louèrent les qualités, célébrèrent les performances de coureurs notoires, de pugilistes en renom, s’excitèrent sur les progrès du socialisme international, bâtirent à leur gré la cité future. Les deux jeunes femmes tout de suite copines, s’entretenaient de mode, de chiffons, de frivolités, de danses en vogue et de drames passionnels… Le temps s’écoulait avec douceur. On buvait une troisième tournée. Sous l’influence généreuse du picon-citron, les esprits s’échauffaient légèrement, un sang plus vif circulait dans les vaisseaux, tonifiait les organismes. Les deux jeunes couples goûtaient le plaisir fugace d’exister… L’heure du déjeuner approchait. M. Jojo, qui était homme de ressource, dit qu’il connaissait là tout près, dans la zone, à deux pas de la barrière, un modeste bouchon sans apparence, mais réputé pour son piccolo, ses frites, ses moules marinières et ses inimitables entrecôtes. Ils s’y rendirent, joyeux et affamés. C’était une bicoque de planches, entourée de vigne vierge. L’ensemble apparaissait pittoresque et accueillant, au bout d’un sentier qu’avaient tracé au cours des âges les pas de nombreuses générations chiffonnières… Le repas fut simple, copieux, largement arrosé. Il fut aussi intime et cordial. On y bavarda agréablement, on y fit de l’esprit, des mots, tout en bien mangeant, en buvant mieux encore.

Vers deux heures, après le café qu’accompagnaient un assez recommandable calvados et des cerises à l’eau-