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demi-bouteille de porto et un carafon de cognac. Son dîner avait été maigre et il ne dédaignait point les douceurs. Il vida la boîte de biscuits, acheva la marmelade et le porto, s’offrit un petit verre d’eau-de-vie. Puis il s’en fut comme il était venu. Il ferma avec discrétion derrière lui la porte de la cuisine, s’engagea silencieusement dans l’obscur escalier, demanda le cordon du ton le plus calme et le plus naturel…

Au dehors, la nuit offrait une sérénité divine ; une brise agréable soufflait. Alors, M. Jojo éprouva une satisfaction orgueilleuse, profonde et forte, une joie victorieuse…


xi


Mémaine s’était éveillée la première, accoutumée à un lever matinal ; auprès d’elle M. Jojo dormait encore, paisible, innocent. Le réveil sur la table de nuit marquait sept heures moins le quart. La jeune femme songea qu’il était temps de tirer du sommeil son amant, ce à quoi elle employa non brusquement, mais au moyen de légères caresses et de papouilles agréables. Il ouvrit les yeux, s’étira, grogna dans un bâillement :

— Y a pas moyen d’  dormir ici, quoi ! quelle heure donc qu’il est ?…

Mais il aperçut son amie et son humeur s’adoucit.

Elle se penchait sur lui rieuse et nue comme une bacchante ; ses beaux seins s’offraient, ronds et blancs, pareils à de lourds fruits gonflés de sève. Le jeune homme les prit, les pelota, en suça les bouts raides et roses ; puis ses mains parcoururent de caresses le splendide corps jeune et chaud. Et ils s’enlacérent, inaugurèrent amoureusement la journée, après quoi ils se levèrent.

— Faut nous grouiller, dit Beau-Môme, en s’habillant, tu sais que Charlot et sa poule nous attendent à huit heures…

— Oui, fit Mémaine, à la porte de Bagnolet, c’est pas loin, on y s’ra encore avant eux…

Debout, devant la toilette de bois blanc ripoliné, armée d’une éponge, elle savonnait ses nichons, ses épaules, ses bras nerveux, ses hanches amples aux belles courbes d’amphore, l’ovale délicat de son ventre infécond. Dans l’humble décor de sa chambrette d’ouvrière, elle était une grisette de dix-huit cent trente, échappée d’une lithographie de Devéria. Les êtres et les choses changent si peu… Dûment rincée, elle essuya, frictionna ses chairs dures, revêtit du linge frais, passa une jupe, un corsage clair, se coiffa, se mit de la poudre