Page:Marc Olanet Beau Mome 1925.djvu/57

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 55 —

— Va y avoir d’la viande soûle, ce soir… remarqua à part soi M. Jojo.

Comme il arrivait à la hauteur du boulevard de Charonne, il aperçut son copain Charlot assis à la terrasse d’un bar et il s’arrêta car il avait soif.

— Tiens, te v’là, fit le copain, ça va ? qu’est-c’ que tu prends ?…

Un garçon agile bondit jusqu’à eux.

— Qu’est-ce que ça s’ra ? M’sieur…

— Un d’mi…

Il souleva sa casquette, lissa de sa paume ses bruns cheveux luisants de pommade, perplexe et préoccupé.

— Ben quoi, vieux, fit Charlot, ça marche pas comme tu veux ? tu fais une drôle de tir’lire…

Beau-Môme eut un geste évasif.

— Peuh ! ça marche pas besef, t’as raison… De ce moment-ci, je traverse une sal’ période. J’ suis fauché, mais là, fauché comme les blés… J’ai pus d’ femme, j’ veux dire d’ femme sérieuse, qui les lâche… J’ sais p’us de quel côté me r’tourner, ça va mal…

— Tu parles, opina M. Charlot, c’est pas l’ rêve…

Ils trinquèrent et burent.

— Ben et toi, s’informa Beau-Môme, qu’est-c’ que tu d’viens ?…

— Oh ! moi, ça va, j’ me plains pas d’ trop pour l’instant. Je bosse avec un copain qui fait l’ cam’lot, on tient le rasoir mécanique, l’ savon à barbe, la maroquinerie, les bibelots en aluminium, un tas d’ bricoles… On circule, on fait l’ marché du Cours de Vincennes, celui d’ Ménilmontant, la rue d’ la Roquette, la rue d’ Rivoli, l’ marché aux puces de Montreuil, l’ dimanche ; c’est pas l’Pérou mais on gagne tout d’même sa vie…

— T’as l’ filon, déclara M. Jojo, c’est une combine comme ça qu’i’ m’ faudrait, un boulot peinard, quéqu’ chose de stable, une petite situation tranquille…

Songeur un moment, il reprit :

— Oui, c’est un truc de ce genre qu’i’ m’ faudrait. Faudrait que je connaisse un copain qui soye d’ la partie et qu’aie un peu d’ pèze pour commencer ; sûr que ça march’rait, mais voilà…

D’un geste découragé, il exprima combien lui semblait chimérique l’espoir de découvrir ce providentiel copain, muni d’expérience commerciale et de capitaux et susceptible de l’associer à de fructueuses entreprises. Et il se prit à songer à la besogne hasardeuse qui l’attendait ce soir-là.