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peut dormir sur ses deux oreilles, au moins pour quelque temps : après, dame, quand on se r’verra on rigolera cinq minutes, probable… En attendant je m’ barbe, je m’abrutis dans c’te cabane, les jours sont longs… Riche idée qu’ j’ai eue tout d’ même de rentrer en France, pour c’ qui m’attendait ; j’aurais rudement mieux fait d’ rester là-bas…

Et vers ce « là-bas » si récent à la fois et si lointain, ses pensées émigrèrent, attristées de regrets. Il revit la grande île africaine où s’étaient écoulées plusieurs années de sa vie ; années insouciantes et paisibles en somme. Il évoqua le régiment dont il avait été une active parcelle, dont son âme avait reflété l’âme collective et conservait l’empreinte morale.

Dans sa lucide mémoire apparaissaient les visages familiers d’hommes qui avaient été ses chefs et ses camarades, sympathiques ou désagréables ; ils revivaient en son souvenir avec les particularités de leur caractère, leurs vices, leurs ridicules. Puis c’étaient des femmes, rencontrées un peu partout, aimées un soir, jamais revues ; méridionales brunes, grasses et grossières des lupanars de Marseille, femmes d’Orient connues au hasard des escales dans les bouges des ports, d’humbles filles indigènes, petites épouses provisoires et résignées des soldats coloniaux… Ce n’étaient pas les femmes qui manquaient par le vaste monde… Le blessé se souleva sur sa couche, murmura :

— Sacrée idée qu’ j’ai eue de rev’nir, bon Dieu ; sûr que j’aurais mieux fait de rester là-bas…

Là-bas, chez les Marsouins… Et il se dit que le meilleur parti qu’il pût prendre était encore d’y retourner. L’existence y était aventureuse et rude, mais elle vaudrait toujours bien la vie amère et besogneuse qui l’attendait ici, dans cette capitale de luxe et de misère, dans ces faubourgs d’une Babel inhospitalière aux déshérités… Et puis, lorsqu’on a été soldat trop longtemps, il est difficile de ne plus l’être ; le métier vous reste dans la peau, alors le plus simple est de continuer, de « remettre ça, jusqu’à la gauche »…

— Bah !… songea-t-il, c’est encore la meilleure combine, y a pas… J’ai encore un peu d’ pognon, aussitôt sorti d’ l’hosteau je prends l’train pour Toulon et je m’en vas rempiler dans mon ancien corps. I’sont pas vaches, i’ me r’prendront, j’ m’en fais pas… Seul’ment avant de partir, y a l’autre affaire à liquider…

Et il ne pensa plus qu’à cela…