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tête. Un instant, son regard erra sur la tristesse des lits voisins, et morne parcourut la salle où tant de misère humaine était enclose. Il offrait des traits émaciés, un masque cireux où sous des sourcils épais luisaient des yeux de fièvre. Au cours des journées interminables, des nuits d’insomnie, ses forces avaient fondu dans la moiteur des draps. Ses membres pleins de courbatures lui semblaient à la fois lourds et mous. Nulle position n’était reposante à ses reins endoloris, pourtant, il en changeait fréquemment et cela lui coûtait d’accablants efforts. Auprès de son lit, une tablette de fer ripoliné supportait une tasse où refroidissait une bienfaisante infusion, des journaux, un compact volume à vingt-cinq sous relatant les aventures et exploits fantastiques et sinistres de quelque Fantômas. Il allongeait parfois le bras, prenait le livre, en parcourait les pages grossièrement imprimées. Cette littérature indigente suffisait à la récréation de son esprit inculte ; il en acceptait l’imagination baroque, truculente, les lourdes invraisemblances. Mais la lecture le fatiguait vite. Il reposait sur la tablette le bouquin dépenaillé, se laissait retomber sur l’oreiller où il demeurait inerte, tâchait de s’endormir en rêvassant. Le sommeil le fuyait. En son cerveau qu’animaient les morbides excitations de la fièvre débilitante, les souvenirs les plus divers se mêlaient, se déroulaient en une confuse succession d’images déformées, hallucinantes. C’étaient, le plus souvent, les phases rapides et violentes de sa dernière aventure qu’il se remémorait, la brutale provocation, l’âpreté, l’acharnement du combat singulier dont il sentait bien qu’il fût sorti vainqueur sans la traîtrise de l’adversaire, les impressions odieuses, atroces d’une lame aiguë et froide trouant son flanc et de ses forces qui l’abandonnaient tandis qu’il chancelait, s’affaissait sur le trottoir où sa main tâtonnante se souillait de sang répandu… Après, il ne savait plus… Deux égoutiers par hasard l’avaient découvert, plus mort que vif, dans la rue déserte et noire… Sans eux, songeait-il, il eut crevé là, tout seul, comme un chien et le souvenir de son ennemi traversait son esprit où fermentaient de haineuses pensées de vengeance.

— Le fumier… I’ perdra rien pour attendre, i’ m’ paiera ça…

Il se souvenait d’avoir repris ses sens dans le poste de police de la rue des Orteaux, où quelques soins élémentaires lui avaient été donnés. Il s’était retrouvé là, comme au sortir d’un sommeil profond, étendu sur le plancher. Autour de lui se mouvaient des carrures robustes sous de sombres pélerines, des figures sévères barrées de grosses moustaches