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l’une d’elles, une grande blonde, lui fit un signe de tête et lui sourit.

On l’appelait Mémaine ; elle était réputée du faubourg Antoine à Ménilmontant et de la rue d’Avron à la rue Basfroi, dans les lavoirs, dans les guinches et dans les bars.

De lourds cheveux, des yeux larges, hardis, une menue bouche rouge, sensuelle et cruelle, une gorge dure, une taille flexible et libre de corset, une croupe ample. Elle aimait les hommes forts, les rixes, la danse et les chansons réalistes, l’aramon, les alcolos, les caresses. Elle respirait la luxure. Elle avait rencontré Beau-Môme un samedi soir dans un bal-musette, Un caprice les avait unis ; la joie profonde qu’ils avaient goûtée l’un par l’autre avait prolongé l’aventure, leur liaison durait depuis quelques mois.

Une autre, n’importe quelle autre, il l’eût mise sur le tas, il lui eût — loué vingt mètres de bitume et deux bec’ ed’gaz — car dures et impérieuses sont les nécessités de la vie. Mais depuis qu’il connaissait Mémaine la jalousie, sentiment nouveau, était née en son cœur. L’idée lui était intolérable qu’un autre eût pu désormais posséder la blonde fille. Il lui disait, avec, dans le regard, une lueur de folie meurtrière :

— Un mec que t’aim’rais, que tu m’tromperais avec, le l’saignerais comme un cochon, j’i’  bouff’rais les foies…

Et quand il l’apercevait dans les rues du faubourg, l’épaule courbée sous un lourd paquet de linge, son grand panier de blanch’caille au bras, il sentait un sang plus chaud courir dans ses veines, une poussée de désir le faisait s’étirer, frémissant, l’esprit soûl de souvenirs, de visions… Vers sept heures et quart, elle sortit. Elle avait une longue blouse blanche, un fichu de laine noir sur les épaules.

— Soir, la gosse… dit M. Jojo, tendre.

— Quiens, te v’là ?… Soir, mon p’tit homme… C’est gentil d’être v’nu… J’suis vannée… Ah ! c’boulot, c’que j’en ai marre… T’as croûté ?…

— J’crois pas…

— Bath ! On dîne ensemble, pas ?

— J’pense bien…

Ils s’en furent chez un marchand de vin où ils s’installèrent. Les sièges étaient durs, une toile cirée tenait lieu de nappe. Près du comptoir, où trônait une énorme femme à moustache, un bougnat et deux terrassiers trinquaient en discutant. Dans un coin se repaissait un cocher taciturne.

— Mémaine, lis voir c’qu’y a sur la carte…

La blanchisseuse énonça la liste courte et simple des plats. M. Jojo conclut :

— C’est pas lerch…