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tances difficiles peuvent nous faire attacher de valeur aux sympathies les plus indifférentes.

Il monta dans sa chambre aussi calme qu’il avait été la veille agité. Même il se surprit à fredonner, en dépit de son humeur sombre, un refrain entendu dans la journée et qui lui revenait à la mémoire, Ce n’était point qu’il se crût si tôt en sécurité ; mais parce que ses impressions étaient changeantes et peu durables, qu’il avait pris son parti d’une situation à laquelle il ne pouvait en aucune sorte remédier, et qu’il restait au fond confiant en la faveur du hasard, arbitre aveugle des destinées humaines…


viii


Quelques jours s’étaient écoulés sans événement. Un soir, vers six heures, comme M. Jojo sortait de sa chambre, le garçon de l’hôtel l’arrêta, lui remit une lettre. Il l’examina, y déchiffra ses noms et adresse suscrits d’une main malhabile sur une enveloppe rose défraîchie. Il l’ouvrit, en prit connaissance ; elle émanait de Lucette et l’invitait instamment à se rendre le soir même rue de Picpus, où la jeune fille sur le point de partir en voyage l’attendait.

— De quoi, fit-il, en voyage, sans blague…

Il demeura pensif un instant.

— I’ manquait p’us qu’ ça… Ça fait trois jours que Mémaine est su’ l’ flanc : cette salop’rie de Georgette s’est fait la paire j’ sais pas où ; maintenant c’est la môme Lucette qui les met, voilà que j’ vas pu’s avoir d’ femme ?…

Il eut un petit rire amer, songea :

— Dire qu’y a eu des moments où que j’en avais d’ rabiot, où que j’pouvais pas suffire au boulot, c’est bien ça…

Il sortit, prit un repas, modique comme ses ressources, chez un marchand de vin de qui il appréciait la cuisine de famille et les prix doux, après quoi il descendit la rue des Pyrénées et se dirigea vers la place de la Nation par le cours de Vincennes. Il rencontra Lucette qui promenait son chien dans la rue Fabre-d’Églantine. Elle vint à lui et de revoir son amant, son visage jeune et naïf exprima une sincère joie. Ils s’embrassèrent sans gêne, indifférents aux réflexions et sourires des gens.

— T’as reçu mon p’tit mot ? demanda-t-elle.

— Oui, ce soir… Alors quoi, paraît que tu pars, où c’est qu’tu vas ?…