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parce que la disparition de la grosse Georgette avait contrarié ses projets, il se dit que vraiment la vie n’est qu’un tissu de contretemps et d’ennuis. Tout en se livrant à ses réflexions désenchantées, il s’était engagé dans l’avenue Ledru-Rollin ; il parvint de la sorte au pont d’Austerlitz, le franchit, traversa la place Valhubert, entra dans le jardin des Plantes. Par les allées encore humides de la pluie de la veille, où jouaient de turbulents marmots, M. Jojo erra mélancoliquement. Comme il parcourait la ménagerie, morne séjour où sous les grilles de fer sommeillent des animaux captifs arrachés aux libres déserts, il se prit à penser à l’horreur des geôles humaines, aux cellules des pénitenciers… Cette importune idée l’irrita. Il s’efforça de la chasser de son esprit. Il sortit du jardin des Plantes, dépassa la Halle aux Vins, s’en fut d’un pas nonchalant par les quais au long desquels se perpétue l’antique commerce des bouquins et des vieilleries. Il regagna la rive droite par le Pont Saint-Michel, le boulevard du Palais, le pont au Change, dirigea ses pas vers le mercantile boulevard Sébastopol, ses trottoirs encombrés où rôdent les filles de joie. Ayant retrouvé des copains dans un bar de la rue Aubry-le-Boucher, il passa en la compagnie de ces jeunes gens sympathiques et sans préjugés quelques heures paisibles, fit un poker, discuta de sport et de femmes, offrit et accepta des cigarettes et des apéritifs. Le soir vint, l’on but une dernière tournée et l’on se sépara. Dans les rues, d’agiles camelots hurlaient les journaux du soir. M. Jojo acheta la Presse, en lut avidement les faits divers. En troisième page quelques lignes banales relataient que la veille au soir, un jeune homme assez gravement blessé d’un coup de couteau au côté gauche avait été trouvé, baignant dans son sang, dans une rue écartée et déserte du vingtième arrondissement. L’auteur du méfait demeurait inconnu mais était activement recherché. La victime avait été transportée à l’hôpital Saint-Antoine… Beau-Môme plia le journal, le fourra dans sa poche, songea, fataliste :

— Si j’ dois être chopé, pas la peine de jouer à cache-cache avec la r’ nifle, je s’rai toujours fait tôt ou tard : question de veine ; si au lieu d’ça j’ dois m’en tirer, je m’en tir’rai, y a pas à s’en faire…

Il rejoignit par l’autobus du Père-Lachaise les lointains parages de Charonne, vint attendre Mémaine rue des Pyrénées. Il ne la vit pas, apprit vaguement qu’elle devait être malade, se dit avec amertume que tout semblait conspirer à lui être désagréable et nuisible. Il reprit soucieux le chemin de son hôtel. Comme la veille, son logeur le reçut avec une cordialité dont il lui sut gré tant certaines circons-