Page:Marc Olanet Beau Mome 1925.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 40 —

voyagé, il se sentait mou, sans courage. Il eut un geste indifférent.

— Et puis, j’ m’en fous, je n’ ferai pas un pas, si i’ m’ poissent i’ m’ poisseront… J’irai à Fresne, quoi, j’apprendrai à fabriquer des chaussons d’ lisières ; on n’en crève pas…

Devant le lourd et solennel édifice de la Madeleine, il s’arrêta, sortit de sa poche un paquet de cigarettes, en alluma une, puis se remit en marche, laissa à gauche les grands boulevards, prit la rue Royale. Il se souvint que jadis, à l’école laïque sur les bancs de laquelle il usait irrégulièrement ses fonds de culottes, un crétin habillé en instituteur primaire parlait souvent du remords qui poursuit le criminel, empoisonne ses jours et ses nuits. Quelle absurdité, quelle dérision. Lui qui venait de blesser, de tuer peut-être un homme, son semblable, n’éprouvait aucun remords, rien ; il n’éprouvait que la frousse d’être pris… Il atteignit la place de la Concorde, s’engagea dans la rue de Rivoli.

Une pluie fine s’était mise à tomber ; les passants attardés se hâtaient sous des parapluies ruisselants ; une grise tristesse enveloppait les choses. Beau-Môme avait relevé le col de son veston et marchait en courbant le dos sous l’averse. Il n’avait pas dîné et n’en ressentait pas le besoin, mais il avait très soif. Il entra dans un bar, se fit servir un demi, le vida d’un trait, reprit sa route. Les rues de Rivoli et Saint-Antoine lui parurent d’une interminable longueur ; enfin, il foula le pavé gras de la place de la Bastille. L’horloge de la gare de Vincennes marquait neuf heures et demie… Il mit encore une demi-heure à regagner la rue des Orteaux. À quelques pas de l’hôtel dans lequel il logeait, il s’arrêta, hésitant. Peut-être des sbires de la sûreté guettaient-ils déjà son retour. De rapides images, reflets de ses appréhensions, se formaient, se succédaient en son esprit surexcité : une courte et furieuse lutte, le contact dur et froid des menottes à ses poignets, le panier à salade, le Dépôt.

De nouveau l’envie de fuir réveilla un instant ses énergies, mais où fuir ? La situation lui parut sans issue. Il eut un geste découragé et pénétra dans la boutique de marchand de vin qui occupait le rez-de-chaussée de l’hôtel. Le dernier client en était parti et le patron faisait sa caisse. Il déploya pour accueillir son locataire toute l’aménité compatible avec sa rudesse auvergnate.

— Chale temps, che choir… Alors, la chanté, cha va ?… Qu’est ch’ que vous prenez ?…

Ainsi M. Jojo connut que nulle démarche policière n’était venue encore altérer la considération des gens à son endroit. Il demanda un café et s’examina dans la glace. L’aspect