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piges de taule, tandis que si i’ vient qu’à claquer, je ramasse l’ gros lot, c’est les durs, j’y coupe pas… Ah ! mince, c’ que ça la fout mal…

Il se gratta la tête, morne et perplexe. On atteignait le rond-point de la Villette. Un nombreux peuple y circulait, la plèbe louche et sordide de l’avenue Jean-Jaurès et du boulevard de la Chapelle, des hôtels borgnes et des abattoirs. Les grondements intermittents du Métro, des tramways couvraient jusqu’aux clameurs des phonographes dans les assommoirs. Des reflets de gaz dansaient dans l’ombre sur le canal Saint-Martin… Le tramway reprit sa course. Bientôt, ce fut la rue La Fayette, ses modernes immeubles, ses magasins confortables, où s’étale un commerce cossu : meubles, antiquités, livres et tableaux. L’église de la Trinité érigea sa structure en face de la grouillante chaussée d’Antin. Aux terrasses des cafés et dans les restaurants avoisinant la gare Saint-Lazare, des gens bien mis absorbaient de coûteuses boissons et des mets dispendieux ou fumaient des cigares chers en lisant les journaux. M. Jojo leur jeta un regard de jalouse animosité.

— Vaches de bourgeois, murmura-t-il, y en a qu’ pour eux… Une bombe dans l’ tas, c’est ça que j’ voudrais voir…

Comme il roulait en son esprit ces féroces pensées, le tramway, au terme de son parcours, s’arrêtait devant la caserne de la Pépinière.

Machinalement, M. Jojo se leva, descendit, s’en fut d’un pas lent et traînant vers la Madeleine, par le boulevard Malesherbes. Il songeait tristement qu’il était encore libre mais que bientôt peut-être il ne le serait plus. Il imagina des poignes brutales d’argousins saisissant ses bras, ses épaules, des voix grossières et goguenardes ordonnant : « Allons, oust ! au bloc ! » Cette odieuse pensée acheva de l’assombrir… Autour de lui s’élevaient d’opulentes maisons aux vastes balcons, aux larges baies qu’illuminaient des lustres électriques. De luxueuses autos filaient silencieusement sur le pavé de bois. Loin du besogneux quartier où il avait vécu, M. Jojo se sentit faible et seul au milieu d’un monde hostile, inaccessible, écrasant. Il éprouvait l’ardente envie de fuir, de disparaître. L’idée lui vint de prendre le train, de gagner l’étranger, la Belgique, mais il eut fallu de l’argent.

— Justement que j’ suis fauché, comme par hasard, songea-t-il, c’est toujours comme ça… C’est vrai que j’ pourrais brûler l’ dur…

Mais il manquai à cet égard de pratique, ayant peu