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Il faisait des poids et luttait quelque peu chez Deriaz, se savait costaud, ne dédaignait point les effets de torse. Bien chaussé, un petit veston noir sur un maillot cycliste beige ; il se montrait toujours parfaitement rasé et orgueilleux de ses mains très soignées.

Ouvrier électricien, il travaillait de loin en loin, aux heures de purée et parce qu’il est toujours utile de pouvoir se prévaloir, à l’occasion, d’une profession avouable. Au surplus, il disposait de ressources appréciables et mystérieuses…

Tout en tétant lentement son mandarin, il demanda :

— À part ça, quoi d’neuf ?… Y a longtemps qu’t’as vu Charlot ?…

— Ben voilà déjà que’ q’jours…

— La tante. Quand on l’cherche, ce frère’-là, y a pas d’pet, qu’i’ se fas’ voir…

Il but, songea quelques instants, reprit :

— La gosse est passée me d’mander ?…

— Non, j’l’ai pas r’vue depuis l’autr’soir, qu’t’étais avec…

— Ah !… Ben j’vas la chercher, ça va être l’moment… Quelle heure qu’t’as ?… Sept heures moins l’quart… ça va, je m’barre…

Il vida son verre, paya sa consommation.

— R’oir ’sieur’ dames…

Par la courte rue Mont-Louis, boulevard de Charonne, il atteignit la rue de Bagnolet, s’y engagea. La nuit tombante allumait les réverbères, enveloppait d’ombre la décrépitude du quartier populeux. Le tramway surchargé ramenait les travailleurs de la banlieue. De tristes boutiques s’éclairaient. Chez le marchand de vin de pauvres bougres, las de leur journée boulottaient en lisant les feuilles du soir. Un brocanteur rentrait son crasseux bric-à-brac. D’infâmes meublés, à cent sous la passe, par les couloirs desquels venaient des relents de chiottes et d’éviers, évoquaient des souvenirs de faits divers sinistres, de bonnes femmes coupées en morceaux, de malle à Gouffé. Quatre agents cyclistes passèrent silencieux. M. Jojo grogna, hostile, méprisant.

— La volante… Bourriques…

Il arriva rue des Pyrénées, remonta à gauche vers la place Gambetta. À quelque distance un large vitrage s’illuminait, dans la devanture badigeonnée de bleu clair d’une blanchisserie.

Là, les manches retroussées, le col dégrafé, une demi-douzaine de jeunes femmes maniaient le fer avec entrain, au milieu des bavardages et des rires. Au passage de M. Jojo,