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— Comment donc, j’ te suis…

Mémaine, muette, écoutait ces provocations. M. Jojo lui jeta, brutal :

— Barre-toi, la môme, on se r’trouvera tout à l’heure, on a à s’ causer. M’sieur et moi…

Une rue noire et déserte s’enfonçait sous la voie en remblai du chemin de fer de ceinture. Les deux hommes s’y engagèrent, avancèrent durant quelques secondes, puis, devant une clôture de planches au long de laquelle des ordures se desséchaient, M. Jojo s’arrêta, fit face à son rival. Au même instant, un furieux coup de poing lui arrivant en plein visage, lui meurtrit le nez et les lèvres.

— Étrenne, mon pote… ricana le marsouin.

Transporté de douleur et de rage, Beau-Môme bondit, à dessein d’assommer d’un coup de tête l’adversaire. Souple, le marsouin se déroba, ne reçut qu’un choc négligeable à l’épaule, riposta d’un coup oblique et rude à l’estomac et d’un traître coup de soulier dont M. Jojo eut les jambes excoriées. Un moment, pareils à d’antiques athlètes, ils se combattirent âprement, sans résultat. M. Jojo portait des coups heureux, mais il en « encaissait » tout autant. En vain s’efforçait-il de joindre d’assez près son ennemi pour se débarrasser de lui par quelque coup habile et déloyal.

Les bras durs du marsouin le tenaient à distance, bloquaient ses gestes. Il s’énervait et s’essoufflait, la perspective intolérable d’une honteuse défaite l’exaspérait. Soudain, sournoisement, il fouilla la poche de son pantalon, en retira un long couteau à cran d’arrêt, l’ouvrit d’un coup sec et se courbant, lança son poing armé vers le flanc du marsouin. L’ex-colonial ressentit dans un choc précis et pénétrant le froid d’une lame. Il devina plutôt qu’il ne se rendit compte, la nature du coup qui l’atteignait, porta la main à son côté gauche.

Quelque chose de chaud poissa ses doigts.

— Ah ! vache, dit-il, tu m’as crevé…

Il sentait fléchir ses jambes amollies ; vacillant de faiblesse, il avait l’impression que tout dansait autour de lui. Et il s’éffondra en geignant, se tordit, sur le pavé ensanglanté…


vii


Devant son adversaire allongé sur le trottoir et qui perdait abondamment son sang, M. Jojo demeurait immobile et stupide. L’ivresse homicide qui avait armé son bras