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bonshommes, j’sais pas… Tu vas laisser tomber ça, hein… et t’tenir peinard…

Sans répondre, il s’éloigna amer et taciturne, agité de pensées violentes.

De retour à l’atelier, Mémaine s’était remise à l’ouvrage, silencieuse et préoccupée… Plus nerveuse, à mesure que la journée tirait à sa fin, elle jetait dans la rue, à travers les vitres de la boutique des regards fréquents et anxieux.

Un moment, elle crut distinguer la maigre stature du marsouin, puis sur le trottoir d’en face, rôda la fine silhouette de M. Jojo. Son aspect insolite inquiéta l’ouvrière. La tension du cou, la saillie de la mâchoire, l’ombre de la casquette enfoncée sur les yeux donnaient à son profil une expression inaccoutumée de canaille bestialité et Mémaine éprouva une étrange angoisse à voir glisser le long des murs son pas nonchalant et flexible, le léger dandinement de ses épaules. De le sentir capable de gestes extrêmes, elle redouta les conséquences possibles de ses confidences imprudentes.

— Il a l’air salement r’monté, songea-t-elle. Un beau coup qu’ j’ai fait de lui raconter ça, i’ va y avoir du vilain…

Le coucou accroché au mur annonçant sept heures moins cinq, elle cessa son travail, fit un semblant de toilette, jeta sur ses épaules son fichu de laine. Sept heures sonnèrent ; elle s’en alla. Elle n’avait pas fait dix pas dans la rue, que le marsouin la rattrapait. Il l’avait attendue cette fois encore, en vue d’une suprême tentative ; mais il n’eut pas même le loisir de lui adresser une parole. M. Jojo, surgi de l’ombre, se dressa entre eux deux. Il puait l’alcool et ses yeux offraient une anormale fixité. Il prit au collet le marsouin, le poussa.

— Hé, là ! l’ mec, dit-il, c’est donc ta spécialité d’ barber les gonzesses ?… Ben, mon vieux, de c’ coup-ci, t’es mal tombé…

D’abord interloqué, l’autre se ressaisit.

— Non, mais qu’est-c’ qui t’ prend, mon pote, t’es pas louf ?… J’ te connais pas, moi ; qui que t’es ?… C’est ta bonne femme, c’te poule-là ?… c’est-i qu’ t’es marié avec ?…

— Probable, rétorqua Beau-Môme, et j’ défends qu’un mec la cramponne. Je m’ charge de le faire voir au plus marle, à commencer par toi…

Le marsouin haussa les épaules, cracha de mépris.

— Toi ?… T’es un peu jeunot, mon bleu, moi j’ t’emmerde…

— De quoi ?… Ça va bien… Mon vieux, ici y a trop d’ badauds, mais si t’es un homme, on va aller s’expliquer un peu plus loin, où qu’on s’ra pas gêné…