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C’était un garçon de vingt-trois à vingt-quatre ans, grand, d’aspect osseux et robuste, avec un visage énergique et maigre aux petits yeux vifs et durs. Il était coiffé d’une casquette de drap terne et vêtu d’un complet gris assez élimé, le veston boutonné sur un foulard sombre, le pantalon tombant en plis disgracieux sur des chaussures éculées. Fils d’un petit bistrot ruiné, mort dans la plus crasseuse débine, recueilli et tant bien que mal élevé par sa grand’mère, une vieille rétameuse alcoolique, il avait traîné, parmi les polissons du quartier, une enfance famélique et vagabonde. À seize ans, pour gagner sa pitance, il criait sur les boulevards « l’Intransigeant, la Presse… » et « Paris-Sport complet… » À dix-huit ans, il s’était engagé et venait de « tirer cinq ans de coloniales » à Toulon et à Madagascar. D’avoir quelque peu voyagé et couru quelques aventures, il s’était enrichi de sens pratique, d’aplomb, d’une certaine vanité aussi. Il parlait volontiers de soi, de ses exploits et succès à Toulon, à Marseiile, à Port-Saïd, à « Madago » patrie des « ramatous », chères à M. Augagneur. Vers la fin de sa cinquième année de gloire militaire, il avait été cassé du grade de caporal, pour avoir pris part à une rixe dans un bouge à matelots. Cet accident l’avait dégoûté du service. Son engagement expirant, il s’était fait rapatrier, pris de la nostalgie du pavé parisien et depuis une semaine, il rôdait, désœuvré, par les vieilles et tristes rues de Charonne. Ayant quelques sous devant soi, ses modiques économies de troupier, il s’octroyait quelques jours de paresse. Bientôt, il reprendrait le collier de misère ; homme de peine ou livreur, il poussserait la charrette à bras ou guiderait le triporteur par les rues populeuses. En attendant, au hasard de ses solitaires flâneries, il revenait fréquemment rue des Pyrénées aux alentours de la blanchisserie où travaillait Mémaine. Dès le jour de son arrivée, il avait remarqué la blonde ouvrière au corps superbe et il la désirait avec ardeur et persistance. Il l’avait abordée, s’était efforcé de lui exprimer les vifs sentiments qu’elle avait fait naître en lui. Elle l’avait éconduit, mais il ne se tenait pas pour battu. Il guettait ses sorties, la suivait, tenace, l’excédait d’assiduités importunes et c’était chaque jour ainsi…

… Mémaine s’éloignait d’un pas alerte ; l’ancien marsouin la rejoignit :

— Alors, la belle gosse, ça va ?…

— Si on vous l’ demande… répliqua-t-elle durement.

Et elle poursuivit sans le regarder :

— Vous voilà encore à mes trousses, ça se voit que vous n’avez rien qu’ ça à faire, de barber l’ monde…

Il baissa les épaules d’un air las.