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cartes postales décoraient les murs ; des hardes pendaient à des clous. Le tiroir le la table recélait un porte-plume rouillé, deux ou trois vieilles lettres, un peigne cassé et des épingles à cheveux. L’ensemble était sale et triste. La jeune fille alluma sa lampe, fit une sommaire toilette. Elle dénoua ses cheveux, les démêla, réédifia sa coiffure avec un souci inaccoutumé de coquetterie, choisit son corsage le plus gracieux, sa jupe la plus seyante et s’en fut.

Elle descendit sans bruit les raides étages de l’escalier de service, passa furtive devant la loge des concierges, s’éloigna d’un pas rapide.

M. Jojo l’attendait à l’entrée du métro de la Nation. Il la vit qui venait et fit quelques pas au-devant d’elle. Il étudiait ses attitudes afin de mettre en valeur sa souplesse, sa force, la sobriété de sa mise. Il lui prit les mains, l’attira à lui, la serra dans ses bras.

— Bonsoir, ma gosse chérie, ma tit’ poulette, ça va ?…

Sous les baisers du jeune homme, elle sentait défaillir en elle toute vigueur, toute volonté.

Lui, murmurait d’une voix faussement émue des mots tendres cent fois répétés, des banalités amoureuses, réminiscences de romans-feuilletons et de chansons sentimentales. Elle l’écoutait avec ravissement. Il lui offrit son bras.

— On va au cinéma, hein ? ça passera la soirée… Y en a un qu’a l’air bath, pas bien loin, dans l’ faubourg, ça vous plaît ?…

Elle l’assura de son goût pour ce genre de spectacle et ils se dirigèrent vers le faubourg Saint-Antoine.

Dans une irradiante clarté d’ampoules électriques, le cinéma ouvrait ses portes encadrées de larges panneaux couverts d’affiches qu’illustraient les populaires figures des Max Linder, des Charlie Chaplin, des Pearl White. La sonnerie claire et grelottante d’un timbre annonçait l’imminente représentation.

Comme Beau-Môme et Lucette pénétraient dans la salle, la lumière s’éteignit brusquement. Une vague ouvreuse munie d’une lampe de poche leur indiqua des places. Ils se poussèrent avec difficulté entre deux rangs de sièges, foulèrent des pieds, suscitérent des grognements récriminatoires, parvinrent à se caler en d’inconfortables fauteuils.

Un faisceau lumineux jailli du fond de la salle, s’élargit sur l’écran en nappe éblouissante, l’anima d’une vie factice et merveilleuse. Des visions se succédèrent : sites étranges et lointains, montagnes abruptes et arides, rocs, gorges, torrents, paysages sylvestres et marins, arbres géants, lianes