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ans, pour avoir été bien employés, en savaient long sur l’existence, ses péripéties, ses vicissitudes et ses déceptions.

— Ah ! là, là, ma pauv’ Mémaine, dit-elle, on voit bien qu’ t’es encore jeune, ça t’pass’ra… Tu t’ fais d’ la mousse, tu t’ fais du chagrin pour un homme, t’as bien tort, le meilleur n’en vaut pas la peine… Et puis tu sais, un de perdu, dix de r’ trouvés… Je s’rais à ta place que ça s’rait vite réglé, je te prie d’ croire ; c’est moi qui te l’ laisserait tomber… comme une fleur…

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Le bal-musette Boutier, rue Basfroi, offrait ce soir-là son aspect habituel de bastringue. Les mêmes couples y « suaient » les mêmes valses, dans la poussière, la fumée, les âcres odeurs humaines, aux flons-flons d’un modeste orchestre, lorsque M. Jojo et sa nouvelle amie y firent leur entrée. Ils venaient là presque chaque soir, depuis que durait leur union, comme s’ils eussent éprouvé une sorte de reconnaissance à l’égard de ce lieu où l’aveugle hasard les avait fait se rencontrer. M. Jojo, muet, semblait songeur, presque morose. La pensée de Mémaine que depuis quelques jours il délaissait, hantait son esprit avec la persistance fâcheuse d’un remords.

— Y a pas, se disait-il, j’atige la cabane tout d’ même, voilà bien un’ semaine que j’ la laisse choir complètement, ce qu’elle doit l’avoir sec… Un d’ ces jours va y avoir du pet si elle me dégotte avec l’autre môme.

La main glissée sous sa casquette, il se gratta la tête, d’un geste qui trahit sa préoccupation. Nini, câline, leva vers lui ses jolis yeux.

— À quoi qu’tu penses, mon p’tit loup…

Il haussa les épaules :

— À rien…

Mais un obscur instinct lui faisait pressentir des ennuis proches, de ces sales petits désagréments par quoi l’existence est empoisonnée. À cet instant une main toucha son épaule, il se retourna, vit son ami Charlot.

— Quiens, te v’là ?…

— Oui, ça va ?… je vous demand’ pardon, mademoiselle… Dis, Jojo, t’as un’ minute ?… j’ai deux mots à t’ dire, c’est sérieux…

Il était rouge et soufflait.

— Un instant, môme, je r’viens, dit M. Jojo, y a l’copain qu’a à m’causer…

Ils remontèrent ensemble dans la salle du marchand de vin.