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— Oh ! avec moi, non, quoique… en effet si j’avais voulu… y a probabl’ment longtemps.

Elle ricanait sans achever d’exprimer sa pensée.

— Non, mais quoi ?… s’écria Mémaine irritée, qu’est-c’que vous avez toutes les deux ?… Je n’aim’ pas les sal’s boniments, quand où à quéq’ chose à dire, on l’dit…

— Oh !… mais t’as vraiment tort de t’exciter, ma chérie, dit Mélie aigre-douce, ne crois pas qu’on ait voulu t’offenser… À l’avenir, on gard’ra ses réflexions, v’là tout…

— Je t’l’avais dit, Mélie, fit Titine, t’aurais mieux fait de t’taire. C’est des trucs à ne pas s’mêler, ça ne fait jamais qu’ des chichis et des histoires…

— Ca, sûr’ment, mais c’que j’en dis, c’est qu’par intérêt pour Mémaine… J’me mets à sa place… Moi ça m’irait pas qu’un type me fass’ marcher et se paie ma physionomie, se fout’ de moi…

Mémaine se sentit pâlir. L’angoisse, ainsi qu’une nain rude, lui serra la gorge, il lui sembla qu’au fond d’elle-même, quelque chose cassait ou se décrochait.

Elle demanda d’une voix sourde et qui tremblait :

— Qui qu’c’est qui m’fait marcher ?… Qui qu’ c’est qui s’fout de moi ?…

— Qui ?… mais ton Jojo, ma pauv’ fille, qui qu’ tu veux qu’ ça soye ?… Sûr qu’i se fout d’toi, on peut pas app’ler ça autrement. Voilà trois ou quat’soirs, hein ? titine c’est-i’vrai ? Voilà trois ou quat’ soirs qu’on le rencontre avec une poule, une petite brune de la rue Keller, très gentille même… J’te jure qu’il a pas l’air d’s’en faire… C’est pour cette môme qu’i t’lâche depuis quéq’ jours ; tu peux pas dire l’ contraire…

Mémaine resta muette un moment. Une immense tristesse la courbait vers la table où elle poussait son fer d’un geste machinal et las… C’était donc cela que depuis une heure elles avaient tant envie de dire, les deux sales bêtes… Mémaine haussa les épaules de dégoût, mais la jalousie tenaillait son cœur d’une morsure de bête.

— Une poule de la rue Keller ? dit-elle enfin, ça va bien… Tu as bien fait de m’ dire’ ça Mélie, je te r’mercie… C’est donc ça que je l’ voyais p’us… Ah ! les hommes, quels salauds !… Quand je pense… C’était bien la pelne… C’ qu’on est gourde…

Jamais elle n’avait ressenti aussi amèrement la vacuité, la misère de sa vie. Elle eût voulu être seule et pleurer, meurtrie dans son triste amour, dans son pauvre bonheur de pauvre fille. Le chagrin altérait, creusait son visage. La patronne de l’atelier, qui la regardait, hocha la tête avec un sourire de pitié. C’était une forte fille de qui les trente-six