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— Vous n’avez pas quelqu’un, un ami, bien vrai ?… Ni dans votre pat’lin, un… comment app’lez vous ça, chez vous ?… un galant, un promis…

Elle affirma qu’elle était libre de toute attache et comme il jugeait adroit de montrer quelque jalousie à l’endroit de son passé, elle ajouta qu’elle n’avait même jamais connu personne, qu’elle en pouvait jurer. Il sentit que la vérité parlait par sa bouche. De la connaître innocente de cœur, neuve de chair, il éprouva quelque chose comme de l’attendrissement, murmura :

— Chère petite gosse…

Mais ce sentiment n’eut pas de durée. En un instant, l’égoïste désir masculin reprit le dessus, étouffa l’éphémère et fragile tendresse dans l’âme de M. Jojo. Il se pencha vers Lucette, lui encercla du bras la taille, l’attira vers lui…

Elle se défendait mollement.

— Chut… souffla-t-il avec un accent passionné, personne ne voit, embrasse… j’t’adore…

Il la tint quelques instants pressée contre lui, soupirant sous son baiser, palpitante comme un ramier captif. Elle cacha dans ses mains son visage confus. Il sourit avec ambiguïté, jeta négligemment sa cigarette à demi-consumée, la regarda s’éteindre dans la sciure du parquet en une dernière menue spirale de fumée.

— Je vas être en r’tard, dit la jeune fille, je bavarde, je bavarde. Je vas m’faire emballer par Madame…

— Bah !… fit-il indifférent, pens’s-tu ?…

Il retira de sa poche un paquet de cigarettes, en choisit une, la prit du bout des lévres, chercha de la monnaie, la compta sur le marbre. Il procédait par gestes mesurés, aimant la distinction et le flegme. Il boutonna son veston, se leva. Ils sortirent ; il s’arrêta sur le trottoir pour allumer sa cigarette. La jeune servante l’attendit, levant vers lui un regard amoureux et timide. Le fox Rip, avide d’espace, dessinait au léger galop de ses pattes agiles de curieuses éclipses et d’audacieuses arabesques sur la chaussée qu’arrosait pour l’heure un placide fonctionnaire.

Ils s’engagèrent à travers la place de la Nation, parcoururent l’allée déserte d’un maigre jardin où règnent les lourds bronzes de solennelles allégories au milieu d’un bassin circulaire.

— Voyons, dit M. Jojo, j’veux pas vous r’tarder davantage, quand est-ce qu’on pourra se r’voir…

Elle répondit que ce serait quand il le voudrait, qu’elle y trouverait toujours pour sa part le plus vif agrément.