Page:Marc Olanet Beau Mome 1925.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 16 —

la considérait, un mince sourire au coin des lèvres. Elle risqua un furtif coup d’œil de son côté, le trouva beau, rassembla ses achats, s’en alla rougissante.

M. Jojo la suivit, discret. Elle sortit du marché, il la rejoignit vers les colonnes du Trône, l’aborda courtoisement, lui exprima l’émoi qu’il éprouvait à sa vue et le vif sentiment qu’elle lui inspirait. Ces propos l’emplirent d’un tel trouble qu’elle ne sut y répondre un seul mot. Il l’invita à entrer dans un bar. Elle s’en défendit d’abord, mais les instances aimables du jeune homme vainquirent ses faibles résistances. Ils s’assirent devant une table au marbre poisseux, lui souriant, le geste aisé, elle raide et gauche, l’air honteux, ses mains rouges, épaissies par les grossiers travaux, inertes sur son tablier blanc. Des boissons furent servies.

— À vot’santé… souhaita M. Jojo.

Il toucha de son verre celui de la jeune bonne.

— J’suis content, dit-il, de vous avoir rencontrée c’ matin. Faut vous dire que j’ vous attendais… j’ m’étais dit qu’ puisque vous êtes de c’ quartier, y avait des chances pour qu’ vous v’niez au marché ; malgré ça, j’osais pas trop y compter… Quand j’ vous ai vue, hier soir, vrai, j’ peux dire qu’ ça été ce qu’on appelle le coup d’ foudre. J’ai été chipé, mais là comme j’aurais jamais cru d’ l’être… J’ai p’us fait que penser à vous d’ puis, fallait que je vous r’voie…

— C’est bien vrai ça ?… demanda la simple fille, ravie de ces faciles aveux.

— Oui, vous pouvez m’ croire, affirma-t-il avec force et gravité.

Le chien Rip explorait l’établissement, en flairant les recoins. Pour celer l’émotion de son visage, Lucette l’appela, affecta de le gronder.

M. Jojo l’épiait, ironique. Il la jugeait niaise, s’en louait en la méprisant un peu, songeait que ce serait un jeu de la prendre — alouette au miroir — et qu’il suffirait d’y employer des artifices de la plus pauvre qualité. Il lui posa, l’air détaché, des questions sur elle et les siens, son pays, les circonstances de sa vie antérieure, il la pria de n’y point voit d’indiscrétion mais la marque d’un tendre intérêt ; elle protesta qu’elle l’entendait bien ainsi. Il connut qu’elle était issue de laboureurs, cadette de sept enfants, et qu’elle avait dans son jeune âge gardé les oies, mené le bétail, peiné dans les champs.

Elle dit la glèbe avare, l’inclémence des saisons, la mévente des récoltes rétribuant mal le dur labeur de la terre, l’âpreté de la vie rustique, son ennui, sa trivialité. Elle exprima confusément l’étroit esprit de village, les rancunes, les