— Nini… Eugénie, quoi, mais tout l’ monde m’appelle Nini, répondit-elle en souriant.
— Ah ! c’est gentil et qué’ q’tu fais d’ton méquier ?
— Brunisseuse, j’ travaille rue Keller et vous ?…
— Moi, c’est Jojo… J’suis dans l’commerce…
À la fin de la valse, ils remontèrent chez le bistro pour se rafraîchir et ils bavardaient déjà comme s’ils se fussent connus de longue date.
Comme ils rentraient dans le sous-sol :
— T’es mariée, môme ?… demanda M. Jojo…
— Mariée ? non, non, j’y pense mêm’ pas…
— Tu veux qu’on s’ barre, môme ?… demanda M. Jojo.
— Mais j’veux bien, mon p’tit, viens-tu ?…
Ils sortirent du guinche, il lui entoura du bras la taille.
— Sans blague, môme, t’as personne ?…
— Ben, du moment que je te l’dis… J’ai eu un ami, mais v’là déjà longtemps qu’on s’voit p’us. De c’moment, j’suis libre.
— Dis, môme, tu veux ? J’serai ton p’tit homme ?…
— Ben, j’dis pas non, si t’es gentil, si tu m’aim’s bien…
Elle marchait en se laissant aller contre lui, toute amollie. Ils allaient lentement en se donnant de longs et étourdissants baisers, et en songeant à l’ivresse qu’ils goûteraient bientôt, librement, en dépit des conventions, des préjugés et des dogmes menteurs, sans autre pensée que celle du plaisir qu’ils allaient prendre à satisfaire des instincts normaux, conformément à la loi naturelle.
iii
Les chambres faites, le salon épousseté, la salle à manger frottée, la servante Lucette s’avisa qu’il était temps d’aller aux provisions.
Elle entra dans le cabinet de toilette, où demi-nue devant une coiffeuse supportant des extraits, des poudres et des crèmes, Mme Cormelier sa patronne s’occupait d’oindre et de lubrifier ses beautés chancelantes.
— Madame, dit-elle, c’est pour le marché, voilà qu’ c’est l’heure…
Madame détourna un regard hautain vers l’humble domestique.
— Vous irez seule aujourd’hui : je n’ai pas le temps et Mme Rognon est souffrante. Tâchez de ne pas vous laisser voler, regardez la monnaie et n’oubliez pas d’emmener Rip…