Page:Marc Olanet Beau Mome 1925.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 13 —

Rue Basfroi, chez Boutier, marchand de vin, le bal musette était installé dans un vaste caveau aménagé sous la boutique, Lorsque Beau-Môme et Charlot y descendirent, quelques couples déjà valsaient sous la lumière crue des becs à incandescence et dans une bleuâtre fumée de tabagie. Il y avait là des camelots, des garçons de lavoirs, des zingueurs, des apaches, des cartonnières, des brunisseuses, des plumassières, des filles de salle, des radeuses. Au nasillement de la cornemuse, au ronflement traînard de l’accordéon, ils tournaient avec les balancements, la veulerie canaille des bals de barrières. Les corps se frôlaient, les seins lourds des filles s’écrasaient au torse des mâles. De la volupté flottait avec des relents d’alcool, de sueur, de parfums à bon marché. Un moment, M. Jojo contempla cette scène, dont il goûtait confusément la vulgaire et puissante poésie. Des poules lui adressaient des bonjours engageants, des marlous réputés venus de la Popinque et de Reuilly le reçurent avec des poignées de mains amies.

— Sans blague, dit Charlot, tu connais tout l’monde ici ?…

— Tout l’monde, non, quéq’ copains, et quéq’ ménesses… Tiens, c’ grand-là, c’est Bébert ; à la Folie-Mérincourt, il en craint pas un, c’est l’ maître. À côté d’lui, c’ blond qu’a la deffe à carreaux, c’est Lulu, un de la Bastoche, un maous… On l’chamboul’ pas, j’i’ en ai vu retourner d’gros… Et c’ te gonzesse, t’la connais pas ? c’ t’épatant, al’ est pourtant connue, la grande Marcelle, de Charonne… Rallum’ ça, elle r’garde pas les mecs, ça lui dit pas, al’ z’yeute qu’les mômes, c’est la gousse du quartier…

Dans le guinche se pressaient maintenant de nombreux couples. La chaleur se faisait lourde, les odeurs âcres, les désirs d’amour surexcités propageaient une fièvre, dont palpitait la gorge des filles, tandis qu’une molle langueur noyait leurs yeux… En longue blouse noire, une môme passait, M. Jojo l’invita d’un sourire, l’enlaça d’un bras désinvolte, l’entraîna au cœur du bal. Elle touchait à l’automne de ses dix-sept ans. Des bandeaux châtain ajoutaient à la douceur de ses beaux yeux, la moue de sa lèvre la dénonçait craintive et tendre. Beau-Môme se souvenait, en la contemplant, d’une petite teinturière du boulevard Voltaire qu’il avait connue aux alentours de la rue Chanzy. Sa faculté d’apprécier les sensations voluptueuses affinée par sa corruption même, il éprouva-un plaisir délicat à mélanger sur des ressemblances, le parfum lointain de l’ancienne aventure, à la saveur épicée de désir de celle où il s’engageait. Il demanda :

— Dis, Môme, comment qu’tu t’appelles ?…