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vin de la rue de Bagnolet, il prit solitaire et morose quelque nourriture sans recherche, arrosée d’un médiocre beaujolais. Il songeait qu’il est dans la vie des heures insipides et que les contretemps se jouent des intentions humaines avec une aise déplorable. Mais il se dit que les faits n’ont d’autre importance que celle que leur attribue notre faiblesse et qu’aux menus désagréments, la vraie force doit rester inaccessible. Il résuma pour soi-même ces quelques pensées en une énergique réflexion mentale :

— Ça s’rait d’avoir pas vu la môme que je me ferais chier ?… Non, mais, j’suis pas dingue…

C’était neuf heures. Il alluma une cigarette, sortit du bistrot, descendit d’un pas égal les rues de Bagnolet et de Charonne. À deux pas de la rue Godefroy-Cavaignac, en son bar plein de lumière et de bruit, le bistro Robert dispensait les cafés et les petits marcs à sa clientèle de types en casquette et de gonzesses. Accoudé au marbre d’une table, M. Charlot lisait l’Humanité en buvant lentement son café. À l’entrée de Beau-Môme, il s’arracha aux intellectuelles jouissances que lui procuraient les véhémentes proses bolchevistes pour l’accueillir. S’étant serré la main, ils s’inquiétèrent de leur santé et de l’état de leurs affaires, déplorèrent l’âpreté des temps.

— Ah ! ça va pas, la vie s’fait dure, les filons deviennent rares, on sait p’us dans quel’ flotte nager, nom de Dieu !…

Aux doléances du camarade, M. Jojo nanti pour le moment d’espèces, opposait quelque optimisme.

— Bah ! les filons ça s’trouve, y a encore qué’q’chose à faire, te bil’ pas…

— À part ça, et ta môme, qu’est-c’ qu’a d’vient ?…

— Ah ! m’en parl’ pas… j’ vas la chercher, bon, v’là sa daronne qui s’a cassé-un’ pince ; nib de Mémaine ; pour ce soir y a rien d’ fait… Ah ! j’ suis verni, la vieille se laiss’ choir, se maquill’ un’ guibole ; mais en douce qui c’est qu’est victim’ c’est mon gniass.

Il noya sa rancœur à l’égard des destins contraires, dans la tasse où des parcelles de sucre se dissolvaient dans un marc de Bourgogne.

— Peuh ! fit Charlot, faut pas s’en fair’, on n’en a rien d’plus… En attendant, si qu’on allait faire un tour d’ balade ?…

— I’ a rien qu’empêche ; où qu’on irait ?…

— Où qu’tu veux, j’ m’en fous. Y a l’ concert, l’ ciné, mais c’est déjà tard ; y a l’ bal…

— Tiens, t’as raison, on va au guinche, y a toujours de la gonzesse, ça m’ plaît…