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Pourtant, j’dois connaître l’truc ; ou personne… Ah ! là ! là !… mon p’tit gas, c’que la vie est moche et dégueulasse…

Le repas s’achevait sur ces propos.

M. Jojo poussa dans un coin de la chambre la table chargée d’assiettes où se figeaient des restes de sauces. Ayant donné un tour de clé, il s’allégea de ses vêtements, se glissa dans le lit chaud auprès de Georgette. Elle l’étreignit avec force et tendresse.

Experts l’un et l’autre en amour, ils se donnèrent des caresses rares et subtiles. Après l’étreinte, les ablutions saines et réparatrices, ils se laissaient tomber sur la couche saccagée et ramenaient le drap jusqu’à leur menton, goûtant la voluptueuse lassitude qui suit le plaisir. Puis, quelque furtif contact réveillant en leurs riches organismes d’oisifs des désirs, d’abord vagues, bientôt précis et vigoureux, ils se procuraient en les réalisant de nouveaux agréments…

Ainsi, l’heureux après-midi s’écoula.

Vers sept heures du soir, au moment où s’achevait habituellement la journée de Mémaine, M. Jojo s’arrêta devant la blanchisserie de la rue des Pyrénées. De ce qu’il n’aperçut point son amie, il conçut un extrême dépit.

Deux ouvrières sortaient, deux filles de vingt ans, assez jolies mais pâlottes, légèrement fanées déjà par le labeur, les privations, la vie insalubre et les amours trop précoces qui usent les pauvres gosses des faubourgs… Elles lui tendirent gentiment la main. `

— ’Soir, Jojo…

— ’Soir, Titine, ’soir Mélie, ça va ?…

— Mais oui… Vous v’nez chercher Mémaine ?… Ah ! pas d’veine… al’ y est pas…

— Zut ! mince ! où qu’elle est ?

— Ben, al ’est partie d’ p’is quatr’ heures, on est v’nu l’avertir que sa mère a s’est fichue dans l’escaïer et a s’est cassé un’ patte, l’a fallu qu’al y aille…

— Cré bon Dieu de sal’ coup, manquait plus qu’ ça…

— Ah ! dam’ oui, dit Mélie, avec un regard malicieux, ce soir on n’aura pas d’ nanan, pauvre p’tit gas.

Beau-Môme sourit malgré son déplaisir et l’idée lui vint de convier les deux filles à prendre quelque apéritif. En son esprit s’ébauchaient de vagues projets de conquêtes ; il savait que les femmes prennent souvent un singulier plaisir à chiper l’amant des copines, mais il connaissait aussi la jalousie de Mémaine et que les mômes sont enclines à jaser et il s’abstint. Ayant accompagné quelques instants les deux blanchisseuses, il leur dit bonsoir. Chez un marchand de