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qu’une pierre grise, la Maxime n’est plus qu’un paradoxe ou une banalité.

Toutefois le reproche d’erreur ou de plagiat plus ou moins involontaire n’est pas encore le plus cruel danger que coure l’auteur. On prétend le reconnaître dans son livre comme dans un miroir ; on le soupçonne d’avoir jugé l’humanité d’après, son propre cœur. Ainsi La Rochefoucauld s’est plu à décrire avec une merveilleuse pénétration les effets de l’amour de soi-même, sur les actions des hommes, sur leurs vices et même sur leurs vertus. Dès lors, La Rochefoucauld est devenu pour nous le type de l’égoïste sans cœur ; nous voulons qu’il n’ait jamais eu dans sa vie d’autres mobiles que l’amour-propre, l’ambition étroite et exclusive, la passion de se faire valoir en écrasant tout autour de lui. En vain l’histoire le montrera-t-elle ami dévoué, soldat plein d’élan, amant fidèle et prêt à tous les sacrifices ; peu importe ! Nous ne consentons plus à voir en lui que l’homme haïssable dont ses Maximes donnent l’admirable et odieux portrait.