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lettres de dubuisson

lui seul et pour son seul plaisir », il se met à écrire ses Mémoires[1].

Il les écrit de souvenir, un peu sans ordre comme sans prétention littéraire, mais non sans finesse et sans esprit. Une mémoire merveilleusement fidèle lui rappelle toutes les scènes dont il a été témoin, toutes les anecdotes qu’il a entendues, toutes les personnes qu’il a connues pendant le cours de sa carrière si longue et si remplie. Pour chaque fait il décrit le lieu de la scène et nomme les personnages qui étaient présents ; chaque nom est accompagné d’un jugement bref et incisif ou d’une anecdote caractéristique. Tout ce qui a marqué dans la haute société parisienne pendant la seconde moitié du xviiie siècle défile successivement sous les yeux du lecteur.

Dufort n’est ni un homme politique, ni un homme de lettres ; ce n’est qu’un homme du monde. Il ne nous parle pas de la conduite des affaires diplomatiques, ni de ce personnel de littérateurs, de philosophes et de Mécènes dans lesquels nous avons pris l’habitude de résumer le xviiie siècle. Mais il nous montre la Cour et la Ville ; il nous apprend comment vivaient et ce que pensaient les membres de cette société frivole et sceptique où déjà fermentaient les idées et les sentiments qui ont abouti à la

  1. Mémoires de Dufort, comte de Cheverny, avec introduction et notes par son arrière-petit-fils, Robert de Crévecœur.