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le charme de l’histoire

les plus doux qu’il nous soit donné d’espérer sur cette terre ; c’est aussi l’un des plus faciles et des plus sûrs, car il ne dépend que de nous ; on se sent heureux quand on a fait du bien.

Un jour, le grand-oncle de Denys Cochin, le fondateur de l’hôpital qui, malgré nos révolutions, porte encore le nom de cette famille bienfaisante, allait à son église Saint-Jacques-du-Haut-Pas faire un sermon de charité. Il est arrêté par une vieille mendiante, de lui bien connue. « Je n’ai plus rien, lui dit-il, j’ai tout donné ». — « Mais, Monsieur le Curé, les boucles d’argent de vos souliers me suffiraient pour acheter du pain pendant plusieurs jours ». — « Vous avez raison », dit le saint prêtre, qui se baisse et détache ses boucles d’argent. Mais une réflexion lui vient : « Si je vous les donne, on croira peut-être que vous les avez volées ! Venez avec moi ». — Il conduit la mendiante chez un bijoutier, vend lui-même ses boucles et lui en remet le prix. Puis il se rappelle ses paroissiens qui l’attendent. Il se hâte, monte en chaire, et, pour excuser son retard, raconte ce qui vient de lui arriver. Ce jour-là il n’eut pas besoin de parler longtemps pour prêcher la charité, et il trouva dans sa bourse de quêteur plus de bijoux que de gros sous. Hé bien ! ce qu’il a éprouvé en ce moment, n’est-ce pas ce sentiment délicieux que nient, parce qu’ils l’ignorent, les malheureux qui ne se sont