Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
le charme de l’histoire

du mot) devient prépondérant. Que l’on mette en opposition, par exemple, l’amour-propre et l’intérêt ; le gendre de M. Poirier sacrifiera son intérêt, mais M. Poirier fera taire son amour-propre. Or, pour La Rochefoucauld, M. Poirier et les gens du commun (504) n’existaient pas.

La Comtesse Diane fait aussi des distinctions entre les hommes, mais elle établit autrement ses catégories. « L’humanité, dit-elle, se divise en deux parts inégales : d’un côté les natures d’élite, de l’autre côté tout le monde » (217). Elle oppose les « grandes intelligences », qui, dit-elle, « se cherchent dans la foule comme des compatriotes à l’étranger » (46), et les âmes vulgaires, les caractères ordinaires (64), qui sont pour elle, non plus les gens du commun, mais tout le monde, ou la foule. Elle est d’un siècle qui ne reconnaît plus de castes, mais qui sait encore distinguer la délicatesse des sentiments, la culture de l’intelligence, la politesse des manières ; où, dans les salons nobles ou roturiers, chacun est assuré d’obtenir la place que lui assignent son caractère, son mérite et son éducation, c’est-à-dire les qualités qui font qu’il nous inspire confiance, qu’il nous intéresse et qu’il ne nous froisse pas.

Ainsi chacun de nos deux moralistes reflète les sentiments, les idées générales, les préjugés du siècle qui l’a vu naître. Il les reflète à son insu, et