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le charme de l’histoire

toujours ; pour la Comtesse Diane, c’est un sentiment sérieux et sincère, fondé sur l’estime et sur l’admiration[1] ; c’est la plus intense de nos affections. La Rochefoucauld y voyait une source de plaisir ; elle y verra la source du bonheur, et, comme suivant elle,« le bonheur ne se donne pas, il s’échange » (144), l’amour tel qu’elle le concevra, sera moins encore le désir d’être heureux que le désir de rendre heureux ce qu’on aime : « Tout être aimé qui n’est pas heureux paraît ingrat » (15). — « On croit avoir tout fait pour l’être préféré quand on l’aime comme on voudrait être aimé de lui ; il se trouverait plus heureux si on l’aimait comme il veut être aimé » (73).

Toutefois elle sait qu’il ne suffit pas d’aimer pour donner le bonheur, d’être aimé pour le ressentir ; que l’amour ne nous apporte pas seulement les plus douces joies, mais aussi les douleurs les plus amères, puisqu’elles nous viennent de celui de qui nous attendions le bonheur. « Aimer quelqu’un, dit-elle, c’est à la fois lui ôter le droit et lui donner la puissance de nous faire souffrir » (5). — « Aimer, c’est souffrir ; être aimé, c’est faire souffrir » (Glanes de la vie, p. 114). Nous souffrirons de son indifférence, de son oubli, peut-être de l’excès de son amour. Nous souffrirons sans qu’il soit en faute,

  1. « Il faut devoir lever les yeux pour regarder ce qu’on aime » (Glanes de la vie, p. 3). — « La pire misère est d’aimer encore ce qu’on ne peut plus estimer (id. p 135).