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le charme de l’histoire

de La Rochefoucauld autant qu’il se rapproche de la Comtesse Diane. C’est que pour lui la question d’argent était chose grave, comme elle l’est aujour­d’hui pour nous tous. Vivant au milieu des grands, dans une condition subalterne à laquelle le condamnait l’infériorité de sa naissance aussi bien que la médiocrité de son avoir, il les regardait de bas en haut, et, pour prendre sa revanche, il en appelait d’avance à la postérité. « Le présent, disait-il, est pour les riches, et l’avenir pour les vertueux et les habiles… Que sont devenus ces importants personnages qui méprisaient Homère, … qui ne lui rendaient pas le salut, qui ne daignaient pas l’asseoir à leur table, qui le regardaient comme un homme qui n’était pas riche et qui faisait un livre ? » (Des biens de fortune).

À côté de ces lignes amères et orgueilleuses qui contrastent avec l’indulgente sérénité de la Comtesse Diane, on retrouve chez La Bruyère, avec les mêmes préoccupations, les mêmes délicatesses. Lui aussi se demande dans quelles circonstances un cœur fier peut recevoir un don sans compromettre sa dignité, et il affirme, presque dans les mêmes termes, qu’il faut être généreux pour consentir à accepter un bienfait : « Quelque désintéressement qu’on ait à l’égard de ceux qu’on aime, dit-il, il faut quelquefois se contraindre pour eux, et avoir la générosité de recevoir » … « Celui-là peut prendre