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la rochefoucauld et la comtesse diane

dans nos désirs et dans nos hommages ; mais personne n’oserait plus écrire ce qu’écrivait La Rochefoucauld, parce qu’il n’est personne aujourd’hui qui ne connaisse et qui ne puisse citer des hommes très sincèrement indifférents à la fortune. Ces hommes ne prétendent peut-être point au titre glorieux de philosophes ; mais ils ont été assez heureux pour se créer un devoir et ils lui consacrent leur vie. Que ce soit le dévouement obscur à quelque humble tâche, ou la poursuite passionnée de quelque grand rêve humanitaire, scientifique, artistique, ou même politique, tout entiers à leur idée, suivant avec respect le sillon qu’ils se sont tracé, ils passent à côté de l’argent, l’oubliant plus encore qu’ils ne le dédaignent.

Autour de La Rochefoucauld on ne le dédaignait pas, parce qu’on ne savait point s’en passer ; mais, tout en le convoitant, on affectait de le mépriser ; c’était un de ces côtés matériels de la vie que l’on subit, et dont on ne parle pas. Voilà ce qui explique le silence de La Rochefoucauld. « Ne touchez pas à l’argent, cela pue », écrivait Mme  de Sévigné, qui cependant savait compter la dot de sa fille, et qui dut plus tard se résigner à l’humiliation de voir son petit-fils épouser la fille d’un fermier-général pour payer les dettes des Grignan. La richesse était si peu de chose à côté de la naissance ou des dignités, que ce qui avait trait à l’argent ne comptait pas. Un