Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
le charme de l’histoire

cherchons à pénétrer le cœur humain, nous y distinguons plus volontiers les traits qui concordent avec nos préoccupations intimes, ceux qui confirment nos jugements antérieurs, notre manière d’envisager la vie, nos doctrines. Un trait de bonté aurait pu échapper à l’attention de La Rochefoucauld ; jamais un trait de vanité. Le moraliste se fait donc connaître dans son livre, moins parce qu’il a eu l’intention de s·y dépeindre, que parce qu’il l’a écrit sous la dictée de ses sentiments et surtout de ses théories.

D’autre part, ce que le moraliste a vu, c’est son siècle qui l’a offert à ses yeux ; son esprit était façonné par son siècle quand il a observé tel ou tel fait, et qu’il l’a jugé plus digne que tel ou tel autre de fixer son attention. S’il a une haute portée, il dégagera de ses observations un trait général et permanent du cœur humain, et sa réflexion, exprimée sous une forme saisissante, sera vraie pour tous les temps et pour tous les hommes ; presque toujours pourtant elle portera l’empreinte de la société contemporaine. Sans doute il en est ainsi de tous les livres et même de toutes les œuvres de l’esprit humain, car il n’en est aucune dont l’auteur n’ait subi l’influence du milieu dans lequel il vit. Mais les recueils d·observations morales ont précisément pour objet de peindre les hommes ; ils doivent donc plus sûrement les représenter avec le