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le charme de l’histoire

l’aide de son serviteur. Comme le sauvage imprévoyant et grossier qui coupe l’arbre pour cueillir un fruit, c’est un brutal qui ignore le premier art de la civilisation, l’art de se servir des choses sans les détruire. Au contraire, le subalterne dédaigné, bon tout au plus à faire une fausse gibelotte, l’être habitué par la rigueur de sa destinée à ne compter que sur soi, le chat, madré, rusé, fera de son maître un seigneur et deviendra lui-même un gentilhomme. Je me trompe ; tout-à-l’heure j’expliquerai pourquoi je retire ce dernier mot : le chat deviendra un personnage.

Pour y réussir, il ne lui faut qu’un sac et des bottes ! Il les demande à son maître. Celui-ci est tout étonné. Entendons-nous ; il est étonné de la demande, parce qu’il n’en comprend pas le but ; mais il n·est pas étonné d’entendre parler son chat. Dans ce temps-là, les chats parlaient ; les hommes le croyaient du moins ; les enfants ne sont pas éloignés de le croire encore. Comme les hommes d’autrefois, les enfants ignorent ces lois de la création dont la science s’enorgueillit de soulever peu à peu les voiles ; ils vivent prés des bêtes, ils les voient jouer, souffrir, aimer comme eux ; ils admettent sans peine qu’elles puissent emprunter leur langage. D’ailleurs, n’apprennent-ils pas dans la Bible elle­ même que le serpent a parlé à la femme, et, sans remonter si loin dans le cours des âges, que ânesse