Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
le livre de la pousta

cher sur la pointe des pieds, ouvrir soigneusement ma valise, déposer une à une mes paperasses comme s’il eût touché les ailes d’une libellule. Quand je fus couché, il alla prendre sa grande fourrure de mouton, l’étendit par terre dans la petite entrée qui précédait ma chambre, et se coucha en travers de la porte qu’on ne pouvait ainsi franchir qu’en passant sur son corps. On le sentait pénétré de sa mission qui consistait à veiller sur moi et sur ma santé débile. Peut-être sentait-il aussi que là-bas, loin du pays natal, c’est en sa personne que tout mon peuple aimé se concentrerait à mes yeux ». Un soir pourtant M. de de Justh reconnait, au fond d’un cabaret, son Istvan complètement ivre. Istvan se lève en l’apercevant ; les yeux brillants, ensanglantés, il le regarde avec insolence, comme pour le défier ! « Les jambes fléchissantes, mais la tête haute, il chante, jure, provoquant l’homme, Dieu et même moi, son seigneur ! » Le surlendemain, Istvan reparut. Il entra dans la chambre pour reprendre son service comme si rien ne se fût passé. Son maître ne lui fit aucune observation ; mais, longtemps après, il lui demanda ce qui serait arrivé s’il l’avait grondé. « Alors, dit Istvan en me regardant encore plus courageusement que jamais, j’aurais tué quelqu’un, moi ou un autre ». « Je ne demandai pas, dit M. de Justh, quel aurait été cet autre. Depuis, Istvan est toujours avec moi. Jour