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le charme de l’histoire

reconnaît le pâturage à perte de vue, l’espace uniforme et sans fin, et dans le lointain il aperçoit quelque tanya (chaumière) semblable à celle où il est né. Pour lui, le pays natal c’est la Pousta tout entière ; ce n’est plus un village ou un clocher qu’il aime, c’est une vraie patrie ; aussi est-ce dans son cœur qu’est éclos ce dicton plein de poésie et de grâce : « Hors de la Hongrie, la vie n’est plus la vie ».

Là règne encore la confiance mutuelle et familière des classes : la protection d’une part, de l’autre le respect. Dans le joli récit intitulé Au retour, qui ouvre le volume, M. de Justh, après une absence, retrouve « ses champs brodés de fleurs et ses paysans ». « Chacun d’eux, s’écrie-t-il, résume l’espèce entière à laquelle il appartient, et l’espèce, c’est moi ! En eux, mes souvenirs ; en eux, mes sentiments, mes aspirations, mes souffrances… Oui, voici toute ma race. Un vieux pâtre, seul, dont l’ombre tranquille se repose sur l’infini de l’horizon. Il s’appuie sur un long bâton et regarde au loin. Dès qu’il m’aperçoit, il ôte son chapeau, vient lentement à moi, me prend la tête à deux mains et m’embrasse sur les deux joues. Il ne dit pas un mot, ni moi non plus. Cet homme me donne ce que je cherchais en vain là-bas… C’est le même air que nous respirons depuis notre naissance ; son sang est mon sang, sa chair est ma chair. Ce qu’il dit trouve