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le grand orient

dant compte que ma conclusion défavorable éveillerait l’attention du Conseil d’État et qu’elle pouvait tout compromettre. J’avertis aussi de ma décision mon président, M. Boinvilliers, qui ne me cacha pas son mécontentement. Il eut soin de prévenir M. Thuillier, alors directeur général des affaires départementales et communales, et à ce titre conseiller d’État en service extraordinaire. M. Thuillier était un ancien avocat d’Amiens, qui, en 1848, avait quitté le barreau pour une préfecture. Désabusé plus tard de la République et devenu l’un des plus ardents serviteurs de l’Empire, il avait conservé l’esprit intolérant et violent de son ancien parti. Il venait rarement au Conseil d’État. Malgré le talent réel qu’il y aurait apporté et dont plus tard il fit preuve, il n’y aurait peut-être pas eu toute l’autorité à laquelle il aurait pu s’attendre. Le Conseil d’État, quelle que soit son origine, est vite amené, par son rôle d’arbitre entre l’intérêt public et l’intérêt privé, à une sereine impartialité. Il n’hésite pas à donner tort à l’administration quand il estime qu’elle se trompe. Il redoute l’esprit de parti, et il se défie des politiciens. Sous le second Empire, ce n’étaient pas les plus ardents bonapartistes qui y étaient écoutés avec le plus de faveur. Le Conseil réservait sa confiance pour les hommes qui, moins engagés dans les querelles politiques, estimaient que le meilleur moyen de servir un gou-