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le charme de l’histoire

de ceux devant lesquels on a refusé de fléchir. Mais à vingt-neuf ans, à l’âge où l’on n’a donné que des espérances et où la dure expérience de la vie ne nous a pas encore appris dans quelles limites le hasard des circonstances renfermera notre essor, renoncer à une carrière pour laquelle on se sent fait et au bout de laquelle on entrevoit le mirage de la gloire, c’est faire un sacrifice sans bornes, car c’est sacrifier avec tout ce que l’on a déjà saisi, tout ce que l’on rêvait. En s’éloignant de la barre au moment où il commençait à se faire connaître, au moment où l’absence des maîtres lui aurait permis de se placer plus vite en lumière, Treilhard témoignait une fermeté de caractère, à laquelle je rends hommage avec d’autant plus d’insistance que nous ne la retrouverons plus au même degré quand il aura eu le malheur d’être jeté dans l’arène politique ; le souvenir de son premier pas dans la vie atténuera le regret que plus tard je serai forcé d’exprimer. Les conséquences de sa retraite furent du reste moins graves qu’elles n’auraient pu l’être ; il retrouva bientôt une position lucrative dans une grande administration publique qui ne dépendait pas du chancelier, et après quatre années d’attente, lorsque Louis XV eût cessé de régner et que Turgot fut ministre, les magistrats de l’ancien Parlement furent solennellement réintégrés sur leurs sièges ; les avocats reprirent alors leur place à la barre.