Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
le charme de l’histoire

l’avenir de la civilisation ; nous assistons au déclin de son prestige quand l’instruction cesse d’être son privilège. Nous suivons dans ses phases ce régime féodal si étrange, si plein de contradictions ; la guerre règne partout, mais les seigneurs les plus arrogants s’arrêtent devant la « Trêve de Dieu » ; les lois de l’honneur permettent qu’elle soit injuste et cruelle, mais exigent qu’elle reste chevaleresque et loyale ; les royaumes et les principautés sont des héritages que se partagent les enfants du souverain ou dont dispose à son gré le caprice d’un testament ; nos rois, enfermés dans les étroites limites de l’Île de France, sont moins puissants que leurs grands vassaux. Mais Jeanne d’Arc lève l’étendard de la grande patrie française ; le xvie siècle secoue l’ancien ordre de choses ; Henri IV et Richelieu affranchissent le pouvoir royal ; et, après la dernière convulsion de la Fronde, le vieux monde féodal s’écroule sous le regard de Louis XIV, comme les arbres séculaires du duc d’Antin ! Sans doute l’histoire générale nous avait enseigné ces faits ; elle nous avait appris le nom, le caractère et les actes de tous ces personnages ; mais les hommes que nous ne connaissons que par elle restent trop souvent pour nous de vagues abstractions. Il est bon qu’une anecdote intime les rattache à un monument, à un site, à un détail personnel et précis ; ils prennent alors un corps, ils deviennent des